La Méduse
La Méduse est un beau bâtiment, moderne, frégate de trois mâts et
quarante-quatre canons, la plus récente et la plus rapide de la flotte
française. Initialement, à la chute de l'Empire, elle se trouvait en rade de
Rochefort, prête à appareiller pour permettre à Napoléon et toute sa suite de
prendre de la distance en se rendant en Amérique. Hélas pour l'Empereur, ce plan
avait été déjoué par la présence de la frégate anglaise l'Agamemnon se trouvant
au large et attendant bien évidemment la Méduse pour l'arraisonner ou l'envoyer
par le fond. L'Empereur avait donc renoncé à ce projet et la Méduse allait
bientôt voguer vers son tragique destin.
La mission
À la Restauration, l'Angleterre était tenue de restituer à la France l'ancienne
colonie du Sénégal, par le traité de Paris, comprenant Saint-Louis, Gorée et
toute la région côtière voisine de l'embouchure du Sénégal. La Méduse reçu la
mission de transporter le nouveau gouverneur Schmaltz accompagné de sa famille,
les fonctionnaires de la compagnie, ses troupes, ses finances et tout le
matériel nécessaire, soit au total cent vingt-deux personnes. La Méduse ne part
pas seule dans cette expédition, elle est accompagnée de trois autres bâtiments,
la corvette l'Echo, le brick l'Argus et la flûte la Loire, les quatre navires
forment un groupe appelé division. Un corps expéditionnaire composé de trois
compagnies faisant au total deux cent quarante hommes prend également place dans
cette équipée. Les places à bord étant limitées, les équipages habituels ont été
réduits et pour couronner le tout, les officiers sont des hommes inexpérimentés,
novices et anciens mousses.
Le capitaine
Le capitaine de la Méduse s'appelle Monsieur Duroy de Chaumareys, un homme âgé
de 51 ans, contrairement à ce que l'on pourrait croire, cet homme n'a ni
l'expérience, ni l'envergure qui sied à un chef pour conduire la division et la
Méduse à bon port.
Officier sans expérience, survivant du massacre des royalistes sur la plage de
Quiberon par Hoche en 1795, il vient tout juste de revenir en France. Comme la
majorité de ses compagnons de la noblesse, il avait quitté le pays en 1789 pour
trouver refuge en Angleterre. Comme tous les nobles ayant déserté la France, il
pense que le temps est venu de revenir au pays. Le capitaine de Chaumareys n'a
plus mis les pieds sur le pont d'un navire en qualité d'officier commandant
depuis vingt-cinq ans. Il est inapte à faire le point, de plus il affiche un
profond mépris envers ses subordonnés et fait fi des avis des marins
expérimentés. Il ne sait pas diriger un bateau et les marins se posent des
questions et se demandent comment il à fait pour devenir capitaine.
Le départ
Le 16 juin 1816, la division quitte Rochefort, c'est l'été, il fait beau, les
vents sont favorables, les bateaux avancent à bonne allure. Un détail non
négligeable s'ajoute à l'ensemble déjà fort compromis, les cartes de navigation
embarquée à bord sont obsolètes et pour le moins imprécises. Les cartes de
l'hydrographie française de Belin sont tellement défectueuses qu'il est
impossible de s'y fier. Or, le commandant de la Méduse ne possède que cette
carte de Belin où l'on peut trouver des erreurs énormes, des différences de
latitude de dix-huit à vingt minutes, en mesures terrestres cela représente,
quarante kilomètres en latitude et cent dix kilomètres en longitude ! Ces
erreurs sont mortellement dangereuses en mer, surtout quand on doit longer les
côtes d'Afrique.
Avant le naufrage
Tous les bons marins savent qu'en mer la route la plus courte n'est pas
forcément la meilleure. Quand un groupe de navires navigue en flottille, il est
bon que les bâtiments les plus rapides calquent leur vitesse sur le bateau le
plus lent. La mer est dangereuse et à l'époque, ne disposant d'aucun moyen, la
sagesse impose de rester groupé afin de pouvoir porter assistance en cas
d'incident ou pire. Moins de quinze jours plus tard, ils sont en vue des côtes
d'Afrique, les marins de plus en plus inquiets savent pertinemment que le long
de ces côtes, les courants sont dangereux, les récifs affleurent au ras de l'eau
et il y a les bancs de sable, comme le banc d'Arguin, entre la Mauritanie et le
Sénégal. La prudence voudrait que l'on s'écarte prudemment des côtes en suivant
une route certes plus longue, mais sécurisante pour les bâtiments et les
équipages. Le capitaine agit à l'encontre de toute logique, il veut arriver très
vite au Sénégal "Hissez la grand-voile" ordonne-t-il, sa frégate la Méduse , est
plus rapide que les autres bateaux, l'Echo cependant navigue dans les eaux de la
Méduse. Les autres bâtiments sont distancés depuis longtemps et elle est
maintenant seule en avant sur la mer, dangereusement seule. Ses officiers
insistent "Attention capitaine, un grand banc de sable se trouve tout près",
rien à faire, il décide de passer au plus près de la côte, tout va bien, la mer
est calme l'eau verte est transparente. Ils sont inquiets, mais n'osent plus en
parler au capitaine, il n'apprécie pas du tout les critiques, ni les conseils.
Le commandant suit obstinément et aveuglément les instructions du livre de
Belin, il ordonne "Cap au sud-ouest, l'Echo qui navigue toujours dans les eaux
de la frégate suit le mouvement. Monsieur de Chaumareys ordonne enfin "réduisez
la voilure, sondez le plus fréquemment possible ". Il est vingt-deux heures
quand l'officier de quart ordonne "A sonder", "quarante-cinq brasses Monsieur",
la frégate continue sa route, par contre le capitaine de l'Echo qui à également
ordonné le sondage, estime que le brassage est insuffisant pour la sécurité et
modifie sa route, laissant la Méduse s'enfoncer seule dans la nuit vers son
destin tragique. Deux juillet, deux heures du matin, sondage : cinquante brasses
d'eau sous la quille, quatre heures du matin, sondage : soixante brasses d'eau.
A six heures, Monsieur de Chaumareys monte sur le pont et surveille le sondage,
quatre-vingts brasses d'eau sous la coque. Le commandant rassuré se dit, "on est
en train d'arrondir la tête du banc". Il fixe alors la route au S-S-O.
Le naufrage
Environ une heure plus tard, au sondage, on ne trouve plus le fond, le
commandant trouve cela parfait, il estime que le banc est dépassé et que tout
danger est maintenant écarté et donne l'ordre, "Cap au sud, en direction de
Portendick ". La vérité est tout autre, les estimations du capitaine sont
fausses, la Méduse met en fait le cap en plein dans la direction du banc d'Arguin,
elle était fort loin de l'avoir dépassé. A deux heures, l'eau est trouble, cela
inquiète l'enseigne Maudet qui demande au capitaine l'autorisation de sonder à
nouveau, le commandant refuse catégoriquement d'empanner et regagne ses
quartiers. Bravant les ordres de Monsieur de Chaumareys, Maudet prend sur ses
épaules la responsabilité de sonder, seize brasses sous la quille, la
catastrophe est imminente, il veut écarter le bâtiment et remonter dans le vent,
à ce moment un autre enseigne s'y oppose, il faut impérativement respecter les
ordres du capitaine. Celui qui n'obéit pas aux ordres du commandant est au mieux
fouetté et au pire pendu, il n'a pas envie d'en faire l'expérience. A ce moment,
Monsieur de Chaumareys intrigué par l'arrêt de la frégate, monte sur le pont, il
voit les eaux sales et boueuses, il apprend qu'il n'y a que seize brasses et
donne un ordre "deux quart sur la droite", le bâtiment devrait donc remonter de
vingt-trois degrés vers l'ouest. Le commandant ordonne "A sonder !",
l'opération s'effectue à toute vitesse et le matelot crie d'une voix teintée
d'angoisse "six brasses". Monsieur de Chaumareys hurle "A droite toute !", à
l'instant même une énorme secousse ébranle toute la structure de la frégate,
immédiatement suivie de deux autres moins violentes, le navire est maintenant
immobilisé. La Méduse s'est lamentablement échouée par 19°54' de latitude Nord
et 19°24' de longitude Ouest. Le commandant ne sait plus dire un mot, les
officiers parlent à voix basse. Le commandant reprenant ses esprits demande au
second, "Comment est la marée ?", la réponse est affligeante "juste en plein de
la mer" répond Reynaud avec une attitude désespérée. S'échouer à marée haute,
c'est le comble, que faire pour se sortir de cette situation. Il faut serrer les
voiles, alléger la frégate en jetant par-dessus bord tout ce que l'on peut,
espars, avirons, mâts de rechange. C'est insuffisant, il faut débarrasser la
frégate de sa haute mâture, on enlève les mâts de perroquets, la hune. Il faut
attendre la marée descendante pour mouiller des ancres afin de maintenir le
bâtiment bien d'aplomb sur le fond, il ne faut pas qu'il chavire.
La construction du radeau
Un peu plus tard, les esprits s'apaisent, la situation semble alors moins
désespérée qu'on avait pu le croire lors de l'échouage. La haute mer est à vue,
moins d'une demi-lieue à l'ouest, on voit nettement que le banc se termine là, à
la couleur de l'eau.
La solution est toute trouvée, à l'aide de la chaloupe et de l'ancre de bossoir
qu'on ira mouiller le plus loin possible, on pourra déhaler la Méduse de la
souille creusée par sa quille dans le banc de sable. Mais le sort s'acharne,
pendant les journées du deux et trois juillet, l'équipage ne parvient pas
accrocher l'ancre de manière sûre et malgré que tout le monde s'attelle au
cabestan, la frégate ne bouge pas et refuse obstinément à gagner la mer libre. I
l faut alléger le navire, il est encore trop lourd, c'est alors que l'on décide
de construire un grand radeau où l'on pourra placer le matériel, ce qui
permettra d'alléger le bâtiment, les quarts de salaisons, les barriques d'eau et
de vin, câbles et voiles de rechange et de la marchandise diverse. On met donc
en chantier ce radeau que l'équipage appela "la machine", vingt mètres de
longueur sur sept mètres de largeur, la construction est confiée à Espiaux. Ses
deux flancs étant constitués par deux mâts de hune, de part et d'autre de l'axe
longitudinal, on prit quatre mâts que l'on brida entre eux, on remplit ensuite
les espaces vides avec des espars, le tout fut rendu solidaire par des fortes
ligatures et des planches clouées. On plaça sur le dessus des pièces de toutes
sortes, mais en prenant soin de les faire dépasser des bords pour créer un
brise-lame. Un garde-fou fut également fabriqué à l'aide de barils de farine, à
l'avant on disposa deux vergues de perroquet croisées en "V" symbolisant la
proue d'un navire.
Le radeau de la Méduse.
Le lendemain quatre juillet, les conditions sont bonnes et l'espoir est grand
d'amener à flot le navire déchargé. On mouille une ancre, tous doivent se mettre
au cabestan, marins, passagers, soldats, après des efforts acharnés, la Méduse
bouge enfin, ils parviennent à la faire pivoter et elle présente sa proue vers
la mer profonde et salvatrice. Alors que la marée commence à descendre, la
frégate allégée se met à flotter. Il faut maintenant positionner les cordages de
l'ancre de l'arrière à l'avant et se remettre à l'oeuvre au cabestan. Cependant,
la marée a pris l'équipage de vitesse et la Méduse repose de nouveau sur le
banc. Il ne reste plus qu'à attendre la prochaine marée, tout le monde garde
l'espoir de se tirer de ce mauvais pas.
La dure loi de la mer
Onze heures du soir, le vent s'amplifie, sur le haut-fond la mer devient dure,
les lames labourent le pont, la Méduse commence à frapper durement le fond,
soulevée par les paquets de mer, la carène commence à faire eau. "Les hommes aux
pompes dans la cale !" Trois heures du matin, une puissante lame arrache le
gouvernail, les ferrures, ouvrant une large brèche dans la coque, la mer
s'engouffre en trombe dans la frégate. Chaumareys atterré ordonne "mettez la
pompe royale en route ". Hélas, la pompe de peut lutter contre le déferlement
des flots meurtriers, la Méduse n'est déjà plus qu'une épave lamentablement
battue par les coups de bélier des lames, à moitié remplie d'eau, elle repose
profondément sur le banc de sable, ce qui l'empêche de couler, mais elle est
perdue. Il faut abandonner le navire. On fait rapidement le point des
ressources, six embarcations en mauvais état, mal calfatées, il y a bien la
grande chaloupe, mais c'est insuffisant pour gagner la côte la plus proche qui
est désertique ou l'embouchure du Sénégal. Même en embarquant le double des
personnes dans les canots on ne pourrait sauver que deux cents personnes et le
navire en transporte le double ! En secret, prévoyant le pire, une liste des
passagers privilégiés à sauver avait été établie. Que va-t-on faire des
passagers restants ? Mais oui, le radeau, ils pourraient prendre place sur
celui-ci et les canots pourrait le remorquer, comment faire tenir tout le monde
dessus, sans compter avec les vivres. On nomme commandant du radeau, Coudein,
jeune élève de la marine, certes il a déjà navigué, mais ce dernier est blessé à
la jambe ce qui le fait boîter. Il va de soit que l'on va embarquer sur la
"machine " les personnes de peu d'importance c'est-à-dire, les hommes de troupe.
En ce qui concerne ces derniers, on ne peut pas dire que c'était l'élite, pour
occuper le Sénégal on avait ramassé les insoumis, les déserteurs, les renvoyés
du corps pour insubordination et même des anciens bagnards. Coudein est
accompagné du capitaine Dupont, le lieutenant Lheureux ainsi que des
sous-lieutenants Lozach, Clairet et Anglas de Praviel. à l'aube du cinq juillet,
c'est le branle-bas d'abandon du navire. La chaloupe fait eau de partout, les
autorités embarquent dans le canot du commandant ainsi que l'embarcation du
gouverneur. Ils s'éloignent de la Méduse et attendent à distance la fin des
embarquements. Chaumareys a quitté le bord dans les premiers, il se fait huer
par les hommes se trouvant encore sur la frégate, certains soldats le mettent en
joue avec leurs armes, il faudra toute l'autorité du sous-lieutenant Praviel
pour calmer la troupe. Ce dernier donne l'ordre d'embarquer sur la machine et
prend soin de désarmer les hommes de troupe, cependant, certains parviennent à
dissimuler armes blanches et pistolets. Sous la charge humaine, le radeau
s'enfonce de plus en plus, si bien que les passagers ont déjà de l'eau aux
genoux. Faute de place, ils doivent se tenir debout serrés les uns contre les
autres, il n'y a pas de bastingage. La vision du radeau submergé laisse
appréhender un drame latent, à un point tel que d'autres hommes préfèrent
demeurer à bord de la frégate en espérant que l'on viendra les rechercher.
Chaumareys, prétendra plus tard que ceux-ci étaient restés à bord "guidé par un
esprit de pillage".
La tragédie est en cours
Le radeau s'éloigne de la Méduse remorquée par les embarcations de la frégate, à
ce moment se trouve à son bord Coudein, quatre officiers de terre, cent dix-neuf
soldats, une femme de troupe, le second chirurgien de bord Savigny, le géographe
Corréard, dix ouvriers des colonies et environ une quinzaine de marins. Détail
assez extraordinaire, les passagers ont accroché un mouchoir blanc à la pointe
d'une baïonnette et crient "vive le Roi". Le remorquage commence, la chaloupe
sous le commandement du lieutenant Espiaux, bien qu'elle prenne l'eau parvient
encore à embarquer une trentaine de personnes qui étaient demeurée à bord de la
Méduse Espiaux à donc embarqué quatre-vingt-huit personnes, dix-sept hommes qui
ne veulent rien savoir restent à bord de la frégate. Chaumareys à bien sûr pris
le commandement de l'ensemble et à fait mettre le cap plein Est, espérant gagner
la côte au plus vite. Mais un autre problème surgit, l'ensemble des embarcations
et du radeau est si massif qu'il devient ingouvernable, et se met à dériver vers
la haute mer. Espiaux avec sa chaloupe munie d'une voile compte prendre la tête
pour guider la remorque, mais la brise est bien trop légère, son embarcation est
tellement chargée qu'elle est devenue ingouvernable. La chaloupe se met à
dériver et va heurter le cordage reliant la seconde embarcation à la troisième,
Espiaux comprend que si sa chaloupe touche le câble, elle chavirera sans aucun
doute. Maudet l'enseigne qui commande la seconde embarcation largue le noeud du
cordage et la chaloupe sans dommage coupe la ligne de remorque, le drame du
radeau à la dérive commence. Les officiers Reynaud et Lapeyrère qui commandent
les deux autres embarcations, croient-ils en voyant le geste de Maudet que le
commandant Chaumareys abandonne l'idée de remorquer le radeau, sans doute, car
tous larguent l'amarre. Ce geste est accompagné d'une grande clameur de fureur
de la part des hommes se trouvant sur la "machine". Chaumareys accompagné de
Maudet fait demi-tour, ils constatent que la remorque est larguée, ensuite ils
mettent le cap vers la côte. Le lieutenant Espiaux voit le geste du commandant,
il a honte de sa lâcheté, mais agit également de la sorte, on abandonne le
radeau à son cruel destin, c'est le sauve-qui-peut ! Le radeau de la Méduse est
abandonné aux éléments, dans une situation de détresse, ni carte, ni sextant, ni
boussole, on a dû sacrifier les vivres pour embarquer des passagers
supplémentaires, ils disposent en tout de cinq barriques de vin, un peu d'eau
douce, quelques biscuits imbibés d'eau de mer. Ils ont de l'eau jusqu'aux genoux
à chaque seconde, ils risquent de tomber à la mer. Le radeau est ingouvernable,
il est livré aux courants marins.
Le "carnage"
Le "plancher" du radeau étant composé de divers morceaux de bois dont certains
sont rond, des passagers pendant la nuit glissent entre les pièces de bois et
ont les jambes brisées, d'autres passent par-dessus bord. L'aube du deuxième
jour révèle une triste constatation, vingt personnes ont disparu de la
"machine", animés de désespoir un matelot et deux mousses se jettent à l'eau. Le
radeau continue à dériver, la mer balaye le radeau inlassablement. La rébellion
gronde, les soldats sont affolés, ils soupçonnent les officiers d'avoir organisé
avec le commandant Chaumareys l'abandon du radeau ! Pris d'un délire collectif,
ils vident une barrique de vin et s'enivrent, ils décident de vouloir mourir
immédiatement et commencent à démanteler le radeau en coupant les cordages à
coups de hache pour envoyer la "machine " par le fond. Savigny avec quelques
officiers interviennent les armes à la main, ils veulent jeter les mutins à la
mer, ils parviennent à les repousser jusqu'au mât. Il s'ensuit un féroce combat,
la bataille est générale, des hommes passent par-dessus bord. Soudain, la fureur
s'apaise, les révoltés demandent aux officiers de leur pardonner leurs actes,
mais la nuit venue, la bataille reprend avec intensité. Au matin, on fait le
recensement, il n'y a pas moins de soixante-trois nouvelles victimes. Le combat
n'a pas arrangé la situation des naufragés, le fût d'eau douce et quatre
barriques de vin ont été jetés à la mer, il ne reste qu'un tonneau de vin, le
rationnement s'intensifie pour les survivants. Les hommes ont maintenant de
l'eau jusque-là taille, la faim se fait cruellement sentir, tout est bon pour
calmer celle-ci, ils mastiquent du cuir des baudriers, des linges. Le sept
juillet le chirurgien Savigny rapporte que poursuivis par la faim qui les
tenailles, des naufragés arrachent quelques lambeaux de chair aux cadavres qui
jonchaient le radeau, ils les coupent en tranches, parfois ils prennent le temps
de faire sécher les morceaux au soleil et les dévorent. Quelques passagers et
les officiers trouvent cela répugnant, ils décident que les affamés recevront
une plus grande quantité de vin. A l'aube de la quatrième nuit, une bataille
rangée s'étant produite et un mousse s'étant suicidé, le huit juillet, il ne
reste plus que vingt-sept personnes à bord sur les cent quarante-sept
embarquées. La plupart des passagers sont blessés, ont perdus la raison et
quelques-uns pouvaient encore espérer survivre quelques jours tout au plus. La
seule chose dont il disposaient encore était le vin, mais la réserve diminuait
dangereusement. Pour que les plus forts survivent plus longtemps, il fut décidé
de jeter les plus faibles à la mer. Cette horrible besogne fut exécutée par
trois matelots et un soldat, ils restèrent donc à quinze, pour éviter tout
problème, ils décidèrent de jeter à la mer toutes les armes, excepté un sabre
pouvant éventuellement servir comme outil à trancher. Coudein raconte que
n'étant plus que quinze, ils démontent une partie du radeau et fabriquent une
plateforme surélevée supportant une petite tente qui leur permet de se mettre
enfin au sec. La peau de leurs jambes est altérée et attaquée par l'eau de mer,
mais le fait de ne plus tremper dans l'eau de mer où il y avait absorption par
la peau, accélère la déshydratation de leur corps et la soif maintenant se fait
cruellement sentir et le soleil n'arrange pas leur situation. Il ne reste
bientôt plus une goutte de vin et les rescapés en sont réduits à boire leur
urine, ils la font refroidir dans des petits récipients en fer-blanc pour que le
breuvage soit plus facile à consommer. Le 17 juillet après treize jours de
dérive, une voile apparaît à l'horizon, c'est l'Argus qui est revenu en mission,
non pas pour rechercher les naufragés, mais retrouver l'épave de la Méduse, car
à bord de celle-ci est resté de l'approvisionnement et surtout des barils qui
contiennent nonante mille francs propriétés du Roi ! Les quelques malheureux
survivants, malgré tous leurs efforts pour attirer l'attention de l'équipage du
navire, rien n'y fait, ils sont de nouveau abandonnés aux éléments, les quinze
survivants n'ont plus qu'à attendre la mort qui ne tardera pas à venir. Fort
heureusement, le destin se montre clément pour une fois envers ces hommes
désespérés, quelques heures plus tard le navire repasse dans les parages et
cette fois, ils ont été remarqués par les hommes de bord, il met en panne et
recueille enfin les infortunés, ils sont saufs. C'est à ce moment que l'on
constatera que les rescapés se sont nourris de chair humaine, les cordages
étayant le mât étaient remplis de morceaux de chair à sécher. L'embarcation de
fortune était parsemée de lambeaux de chair attestant sans nul doute leur
origine. Et les autres embarcations et leurs membres ? Le canot du gouverneur et
de Chaumareys à rejoint Saint-Louis, car ils possédaient une boussole. D'autres
personnes, une soixantaine environ seront récupérées par l'Echo. Chaumareys ne
dit mot et reste muet à ce moment sur les circonstances du drame. Les autres
embarcations ont accosté le rivage désertique des côtes, leur aventure sera
épouvantable, souffrant de la soif, de la faim, certains seront capturés par les
Maures, d'autres arrivèrent même après les rescapés de la Méduse. L'Argus repart
en chasse de la Méduse et ce n'est que le quatre septembre qu'il atteint
l'épave, en montant à bord, ils découvrent un spectacle navrant, trois hommes
ont survécu pendant quarante-cinq jours, ils sont dans un état lamentable proche
de la mort et qu'est-il advenus des quatorze hommes qui les accompagnaient dans
leur attente désespérée ? Deux sont morts et douze autres avaient décidé de
tente la traversée vers la côte sur un radeau, on n'entendra plus jamais parler
de ces hommes, nul ne sait ce qu'ils sont devenus, ils ont probablement été
engloutis à tout jamais par les flots.
Sur trois cent quatre-vingt-seize personnes montées à bord de la Méduse au
départ, cent soixante y laisseront la vie.
La sanction
Et Monsieur de Chaumareys quel sera sont sort ? Voguant vers la France, il ne se
doute pas que son histoire est déjà connue au pays et qu'il va devoir passer
devant le conseil de guerre, les charges retenues contre lui sont lourdes :
S'être séparé de la Loire et de l'Argus. |
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Avoir échoué la Méduse. |
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Perte de son bâtiment. |
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Evacuation et abandon de la frégate |
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Avoir abandonné le radeau. |
Pour la première accusation d'avoir abandonné les deux autres vaisseaux : non
coupable. |
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Pour l'échouage de la Méduse, accusé de négligence: coupable, avec
l'application de l'article 39 du code pénal des vaisseaux soit : cassé et
déclaré incapable de servir. |
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Perte totale de la frégate : non coupable, le commandant ne disposait pas de
tous les moyens nécessaires pour sauver le navire. |
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Pour l'évacuation et l'abandon du navire : coupable, après avoir échappé
habilement à la peine capitale, il est reconnu qu'il n'a pas abandonné le
bâtiment le dernier. |
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Pour avoir abandonné le radeau, étant donné que chaque officier à bord des
canots à été déclaré entièrement responsable de son embarcation, Monsieur de Chaumareys est déclaré : non coupable. |