Un enfant du pays, Hubert ROUGER, est né le 06 octobre 1875 à Calvisson, et est décédé le 21 septembre 1958 à Nîmes. Outre ses publications littéraires, il s'est fait connaître par son action politique. Fils d'un Maire de Calvisson, il fut Député du Gard et Maire de Nîmes de 1925 à 1940.

Mais écoutons le plutôt !

L' aimable Cité

Je ne sais au juste Si c'est Calvisson, ou Cauvisson que l'on doit dire. Monsieur Lelièvre, un de ces savants qui sont familiers avec les vieux papiers, disait : Calvisson, nos anciens disaient tous Cauvisson. Pour le savoir d'une façon sûre c'est dans l'obscur lointain des âges qu'il faudrait chercher.

Ce qu'il y a de sûr, c'est que Calvisson est encore un grand village, et qu'il a été dans les anciens temps, une petite ville jolie avec ses remparts et ses portes fortifiées dont on parlait assez loin en dehors de la Vaunage.

En descendant de la Colline qui s'allonge comme un épi de rempart devant le roc de Gachone ; sur le chemin qui monte aux Cévennes on aperçoit une source appelée Fontanille d'où surgit une eau claire et limpide qui peut-être depuis Mathieu Salem donne à boire hiver comme été aux Calvissonnais. Cette coulée d'eau a été sûrement la cause des premiers rassemblements d'hommes et de femmes qui trouvèrent là l'endroit qu'ils cherchaient pour engendrer l'agglomération Calvissonnaise.

Au XII è siècle nos aïeux furent sous la domination du Château qui s'élevait là haut sur la colline.

Que de soucis, que de tracas donna ce château aux Comtes et aux Barons qui se disputèrent constamment pour la possession ; cet enchevêtrement de disputes ne s'éclaircit que longtemps après la mauvaise et sanglante croisade qui fit un grand massacre de peuple méridional et qui faillit anéantir le génie de notre race !

 A l'aube du XIV è siècle c'est Monsieur de Nogaret qui obtint le château.

C'est ce Guillaume de Nogaret, homme de loi à la Sénéchaussée de Beaucaire, qui dans l'intention d'être agréable au Roi Philippe Quatre, alla gifler le pape de Rome qu'on appelait Boniface comme au roi de France on donnait le nom de Philippe le Bel.

Cette histoire donnait toujours à réfléchir à grand' père qui avait connu dans sa jeunesse un rémouleur a qui on disait: Théodore le Bel ; cependant il ne croyait pas que Théodore et le roi Philippe fussent de la même famille !!

Certes Guillaume n'était guère doux, mais il est pourtant écrit dans les vieux livres qu'il protégea les Calvissonnais, ce qui veut dire qu'ils vécurent sous son autorité relativement tranquilles pendant quelque temps.

Au XVII è siècle la seigneurie de Calvisson était la plus puissante de la région, à tel point que la baronnie fut érigée en Marquisat; ce qui fit une belle jambe aux Calvissonnais qui s'éreintaient en cultivant les terres du château.

Mais ces trois siècles et ceux qui suivirent ne s'écoulèrent point sans querelles et sans disputes, sans calamités et sans guerres, et il s'en fallut de peu que Calvisson fut entièrement rasée plusieurs fois.

… Mais chaque fois de ses cendres ravivées

    Ressuscita la charmante cité.

Les Calvissonnais ont l'esprit fort éveillé comme tous les Vaunageols, cela leur vient du terroir nourricier. De tout temps, ils surent conserver leurs usages, leurs coutumes, et leurs franchises communales.

Et leurs Consuls, de bonne heure affirmèrent hautement les droits de la Communauté et les libertés des Citadins.

Gais, pleins d'enthousiasme, à rebrousse poils à l'occasion, s'emportant facilement, ils furent souvent hérétiques, et ils se firent Huguenots comme plus tard en 1789, ils s'affilièrent à la Grande Révolution qui enflamma tout le pays.

Au temps de son éclat Calvisson avait son marché le jeudi de chaque semaine et quatre foires achalandées par an.

Ses vins de clairette avaient grande renommée, ainsi que son huile d'olive et ses fruits savoureux.

Dans chaque maison il y avait au moins un fabricant de bas qui peinait sur son métier à navette pour en faire sortir les beaux bas de soie qui modelaient les mollets des barons, des Comtes et des Marquis et de tous les messieurs qui avaient la bourse garnie.

Quand le Phylloxéra vint, les Calvissonnais reçurent une frottée qui faillit les abattre.

Cette catastrophe dépeupla la cité. Les souches mortes, les foudres vides, et la bourse dégarnie, la moitié de la population émigra vers Nîmes, Béziers et le Narbonnais pour aller chercher la pitance.

La vie ne fut pas rose pour ceux qui restèrent : plus de Casino, plus de fêtes, les taureaux restèrent dans les prairies, et si on continuait à jouer au bourre et au baccarat dans les chambrées qui s'étaient substituées aux cafés fermés, ce n'étaient pas des louis d'or qu'on gagnait mais de simples noyaux d'abricots dont les amandes étaient achetées par les pâtissiers de la Placéto, six sous la livre.

Mais comme dit Bigot  après la pluie le beau temps. Tout cela est passé et aujourd'hui il y a encore de la bonne huile d'olive et lorsque les courses de taureaux recommencent sur la place du rempart, presque toujours la vendange, remplit les cuves.

Tout cela maintenant est assez causé, car sans parler en dehors du sujet on pourrait s'étendre à l'infini sur l'histoire de Calvisson, mais cela serait trop long, s'il fallait épiloguer du commencement à la fin en passant par le milieu !

Ce que je voudrais par dessus tout ce serait de vous faire connaître quelques contes qu'il y a bientôt cinquante ans faisaient la joie des Calvissonnais sans souci.

Les sobriquets

Il y a demi-siècle, on avait encore la coutume de laisser donner par la voix populaire des surnoms à chaque famille, surnoms qui s'ajoutaient aux noms patrimoniaux.

On distinguait ainsi les branches d'un même arbre familial et on reconnaissait plus facilement chacune de celles qui portaient le même nom.

Ainsi à Calvisson il y avait un grand nombre de Gaussent, alors on disait : Gaussent le bonnet blanc ou Gaussent le ventre bleu, le gris, Boit l'eau, la Fabrique, la Savate, Ecrase-sardine, etc.

Pour les Verdier, il y avait la Treille, le Pactole, Sébastopol, Moscou, Nous y sommes, la Baraquette, le grand Césé, l'Ovi ! le cul-bas, ou encore l'Olive ridée.

Parfois le surnom était signe de bonne origine, et indiquait la maison d'où on était issu : le Préfet de Bizac, Jullian du Château, Michel de l'Hôpital, Talé de la petite rue, Bros de Florans, Cabanis de la Grande Maison !

Quelquefois le surnom définissait une qualité ou un défaut : le Bon homme, Jean l'adroit, le pétomane, Parle peu, le Paon, Plein de poils, le Déhanché !

Ou encore c'était par dérision: la Gueule tournée, le Cornu, Vol  luzerne, la Petite  vérole.

Ceux dont le surnom était honorable s'en faisaient gloire, mais pour les autres c'était différent et ce n'était pas à tous qu'on pouvait donner leur surnom.

La politique avait créé: le Rouge, le Cul-blanc, Badinguet, le Pétroleur, M. de Chambord, le comte Montholon, le baron Larrey, La Fayette, Gambetta le Borgne, Barbés, le Montagnard.

Aux vaniteux on disait : M. le marquis de la paille brisée, ou bien : Pète dans sa peau.

Les anciens soldats avaient fait des maisons entières de Cuirassier, Grenadier, Lancier, Matelot, Caporal, Sergent, le Zouave, le Capitaine.

Tous les oiseaux avaient leurs représentants : l'Alouette, l'Étourneau, le Tourdre, la Grive, le Perdreau, la Caille, la Calandre, le Canard, le Levreau.

A Calvisson, des surnoms il y en avait de toute sorte : le Caraque, le Guenilleux, le Sans licol, la Face blanche, le Rat blanc, la Lime, l'Épée, le Sabre, l'Épouvante, Haricot, le Pétrisseur, le Scieur, le poinçon, Demi-coup  le Noir, le Chien-loup, la Grosse tête, Canette, le Grain, le Tonnerre, la Bible et d'autres dont je renonce à trouver la traduction.

L'Abrassaïré, la Roumèque, le Galissar, le Cabot, la Clèche,  Toutoure,  Chasse rat, Cago lano, le Touffu, Brancassi, La Mado, Cachanello, le Pottier, Margari, Dartagnan, Sequinéto, Magna, Carla, Ventabren, Sassayou, le Kroumir, Plante-greffon, et j'en oublie.

Il serait sans doute, fort plaisant de rechercher l'origine de ces surnoms, mais je voudrais aujourd'hui parler de quelques Calvissonnais qui étaient connus de toute la Vaunage, car ils ne manquaient aucune fête votive le jour où il y avait arrivée de taureaux.

Écoutez-moi, voici les premiers de mes contes.

 

 

1 - Pierre en liberté

Il  était de Calvisson, maçon de son état, on l'appelait Pierot.

Adroit comme un singe, leste comme un chat, il gagnait toujours au jeu de quilles ou a celui des Trois sauts; il dansait la matelotte et l'anglaise, conduisait la farandole, rasetait les jeunes taureaux à leur première course, et il allait attendre au trident les vaches mal encornées.

Pierot avait bon appétit, il masticait bien, avalait encore mieux et pour vider le flacon vous pouviez aller loin pour trouver son pareil.

Il  poursuivait les femmes et chantait comme un orgue; bon républicain il entonnait la Marseillaise devant le tonneau de vin le 14 Juillet, et Minuit Chrétien pour Noël à l'Église.

Il  ne manquait jamais un mariage, ni un baptême, ni une Première Communion, il fréquentait les nouveaux riches pour pouvoir s'attabler, aux repas où le bon vin coulait à flot. Il se mêlait à tous les festins: à la villa de Monsieur Paul, au Mazet de l'opiniâtre (1), à la capitelle de César, il fraternisait avec les vieux garçons comme avec les conscrits, chez Carla, l'aubergiste, à la chambrée des pieds nus (2), aussi bien qu'aux fricassées du Cercle des gens aisés.

Et quand il s'agissait de nettoyer une casserolée d'escargots ou d'absorber le vin de première qualité il n'envoyait pas un autre à sa place. Avec cela toujours prêt à aider au voisin et à lui rendre service,

(1)   Surnom.

(2)   Surnom donné aux journaliers agricoles.

Il   quittait même son labeur pour faire plaisir au premier venu, mais au travail il y allait sans se presser et parfois la dispute naissait à la maison où la fille de Remézy, le lâcheur de vesse, se désolait, et devait le menacer trois fois au moins la semaine de se séparer de lui, ou de lui jeter bon battoir de lessiveuse à la tête

Grand gueux lui criait-elle, tu ne sais donc pas que nous avons trois grands garçons à nourrir et qu'ils ne se contentent pas d'avaler des carroubes

Pierot le savait bien qu'il avait trois gosses vigoureux, puisque lorsqu'il revenait d'un festin, il leur apportait toujours soit des pralines, soit des morceaux de nougat, et l'été parfois de la réglisse ou du sirop de Calabre dans une petite bouteille.

Vois-tu, disait-il à sa femme, ne m'embête pas ainsi, nous sommes arrivés à joindre les deux bouts jusqu'ici, nous y arriverons toujours, ne t'en fais pas, et si elle s'enflammait, alors Pierrot, contrefaisait Monsieur Fabre, le pasteur, lorsqu'il était en chaire.

Il joignait les deux mains agitait ses paupières, levait ses yeux au ciel et se mettait à dire: "Grâce soit rendu à celui qui est en haut, c'est lui qui arrange tout".

Sa femme qui n'aimait pas de se moquer du Bon Dieu se mettait à crier : "Grand renégat, Si tu ne t'en vas pas cela va mal tourner".

Pierrot simulait une ruade et il s'éloignait en riant aux éclats

Sur le plan du milieu du village près du Griffon, demeurait une vieille ronchonneuse qu'on appelait Madame Potière, veuve d'un marchand d'étoffes, qui en vendant ses chiffons, avait amassé des louis d'or comme un chien des puces. Les écus s'amoncelaient, mais Madame Potière ne donnait pas le lard aux chats et dans sa poche il y avait un serpent qui disait-on l'empêchait de prendre son porte-monnaie.

Un jour qu'une bourrasque en soufflant, démolissait les tuyaux de cheminée, Madame Potière était devant sa porte cochère sans s'occuper de la température, lorsque pierrot. frais et réjoui vînt à passer sur le plan.

Je ne crois pas que les moustiques vous incommodent dit-il aimablement.

-     Ce n'est pas la fraîcheur qui me fait tenir dans la rue répondit-elle, mais avec cette tempête je ne puis me protéger contre la fumée de ma cheminée.

-     Voulez-vous que j'examine s'il y a quelque chose ?

-     Oui, mais ne montes pas sur les toits, tu me ferais plus de frais que de recette, car les maçons vous ne travaillez pas bon marché.

-     Pierrot s'engouffre dans le porche et trouve dans la cuisine la cheminée ou deux bûches en croix fumaient tristement comme une veilleuse sans huile.

-     Je vois d'où cela vient dit-il I Allez, nettoyez tous ces embarras, emportez votre marmite, éteignez la braise, balayez le foyer.

-     Madame Potière, se met à la besogne, elle charrie dans l'arrière cuisine, les pots et la poêle, les broches et les grilles, la chaufferette et le chauffe-casserole.

Alors Pierroto s'approchant de la cheminée s'agenouille devant la tôle, secoue la crémaillère, regarde encore, puis, tout à coup, réclame le seau et deux cruches que Madame Potière lui apporte sans se méfier.

Et voici notre homme planté comme un pieu devant la cheminée sans rien dire.

-     Alors lui dit-elle, a quoi songes-tu ?

Pierrot ne rêvait pas le coquin; il se met à décrocher la crémaillère, jette au loin le tisonnier, place soigneusement à chaque coin de la cheminée une cruche, avec le seau au milieu de l'âtre et tout doucement gagne la porte en disant:

-     Madame Potière croyez-moi, faites désormais brûler vos sarments dans votre évier la cheminée ne fumera plus

Les pincettes, la pelle, le soufflet volèrent dans le couloir sans atteindre le dos de Pierrot qui pen­dant 6 mois oncques ne vit plus sur le Planas.

 

2 - Bertrand le boulanger

Bertrand était le boulanger communal qui occupait le grand four de la rue de l'Hôpital, il avait un fils, brave garçon, un peu étourdi, qui acceptait argent comptant toutes les blagues qui se racontaient aux quatre coins du village, tellement il était naïf.

Un jour de décembre, les ruisseaux des rues étant gelés, les vieux du quartier s'étaient rassemblés sous les Halles couvertes, le dos à la muraille, assis sur la banquette, le bâton entre les jambes

Flotet, le chasseur parlait de la gelée de soixante dix qui tua les oliviers.

Deville la lime, racontait à son habitude de grosses calembredaines qui étaient un peu fortes.

Le grand Martin, qui était fort habile à dire des fariboles parlait de bien manger et des gens qui étaient dégoûtés de tout et Polyte le cordonnier, avec l'air de ne pas y ajouter d'importance, déclarait cependant qu'il valait mieux manger un bon plat que le voir préparer !! Tandis que Martin affirmait qu'il avait vu de ses yeux le pâtissier Gilly cracher dans la pétrissoire aux gâteaux !!

Toutes les choses peu ragoûtantes qu'ils racontaient auraient coupé l'appétit pour six mois si on avait pris à la lettre tout ce qui se disait - a moins d'être comme Méril de la Tranchée (1) qui aurait avalé une marmite de haricots et digéré la vis d'un essieu de charrette !!

Le fils Bertrand n'en perdait pas une, mais pour une fois, était moins crédule.

(1) une rue de Calvisson

-    Et bien, qu'en dis-tu, dit Martin en s'adressant à lui.

-    Je dis que vous ne racontez tous que des mensonges!

C'est pourtant vrai ce qu'on vient de dire personne ne peut le démentir et si tu ne veux pas le croire, c'est que tu es un nigaud qui ne croit à rien. Je suis sûr que tu diras que c'est encore une menterie que ton père pétrit les gâteaux et même le pain rond de fournée avec son c...

-    Mon père pétrit avec son derrière ! Celle-là alors est forte; sans doute, vous êtes aveugle et ne l'avez jamais vu au travail

-    Non, je ne suis pas aveugle et c'est comme je te le dis

-    Ce mensonge ne peut-être cru; il est trop fort pour cela. Vous n'avez qu'à venir le soir dans la gloriette et vous verrez si mon père est capable d'une telle cochonnerie

C'est cependant vrai et je peux l'affirmer et si tu ne veux rien dire à ta maison, je te fais le pari avec un lièvre à l'enjeu prêt à faire la démonstration de ce que j'avance.

-    Nous allons prendre des témoins, dit le jeune homme.

-    Frappes dans la main, lui dit Martin.

Et à mains ouvertes, ils affirmèrent le pari, Bertrand choisit Auguste de l'enclos et Hippolyte le cordonnier et Martin choisit ses voisins Brun, l'époux de Mélanie et Baptiste dit l'alouette

Ils convinrent de garder le secret et décidèrent, sans en parler à personne, que dans la soirée, ils iraient à la gloriette de Bertrand où le fils lui-même les conduiraient.

Ce jour-là, le père Bertrand faisait une double fournée comme il était d'habitude le samedi; il ne s'endormait pas dans le pétrin pour faire lever la pâte de ses petits pains qui maintenaient sa renommée dans tout le pays.

A 10 heures sonnées, nos acolytes se réunissent sous le marché couvert et, le fils Bertrand en tête, ils se dirigent tous les six vers le grand four. Ils ouvrent la gloriette où le pétrisseur, nu comme un ver, allongé sur le pétrin, à deux bras soulevait la pâte qu'il rejetait dans le fond en poussant des han de soulagement.

En voyant ces six personnes, il ne sut ce que celà signifiait.

Et maintenant, qu'est-ce qu'il y a ? Que voulez-vous ? Y a-t-il feu quelque part ?

Ne t'effrayes pas, lui dit son fils, c'est le grand Martin qui est cause de notre visite, il a en le toupet d'affirmer à la cantonade des Halles que tu pétrissais avec ton c... et non avec tes mains. Maintenant qu'ils t'ont vu, ils ne pourront pas dire que Martin n'a pas menti !

-     Attends un peu, réplique Martin, ce que j'ai dit, je le maintiens plus que jamais maintenant que je l'ai vu.

-     Celle-là est forte, répétait le fils du boulanger !

-     Oui, lui dit Martin, vous pouvez le voir son derrière, car il ne peut, étant donné son ampleur, passer inaperçu !

-     Mais nous le voyons bien, répond Hippolyte, puisque Bertrand a quitté ses culottes.

Et bien, interrogent les autres qui voyaient où Martin voulait en arriver.

-     Et bien ?

-     Et bien, vois toi-même, est-ce que ton père a quitté son pantalon pour se mettre au pétrin, et s'il le quitte, c'est qu'il pétrit avec et non pas sans son postérieur. C'est donc bien moi qui ai gagné le lièvre.

Tout éberlué, le fils Bertrand ne savait que dire.

- Mon fils, lui dit son père, Si les nigauds volaient, tu serais dans le ciel.

Mais le plus beau de l'histoire, c'est que nos compères sachant bien qu'il fallait un perdant pour manger le lièvre, que Martin ne paierait certainement pas, déclarèrent tous les quatre que c'était Martin qui avait gagné.

Le fils Bertrand protesta bien, mais il paya le lièvre.

 

3 - La grande peur de Verdier

Verdier, le bourrelier du Planas, qui était le neveu de Blanc, celui qui louche, avait fait la guer­re 1870 à Arles chez le maître sellier de la remonte. Il n'en était pas revenu guerrier ! Il était tellement peureux qu'il suffisait de frapper des pieds derrière lui pour qu'il parte en courant en se heurtant partout.

Ce qu'il craignait le plus, c'était de rencontrer dans les champs un taureau échappé d'une arène de village au temps des fêtes votives Si on lui en signalait un, il n'allait plus travailler à ses vignes de toute la semaine, tant sa peur était grande de s'exposer devant les cornes d'un jeune taureau de Papinaud ou d'une vache de la manade Charles Combet.

Voici qu'un soir d'août, Verdier venait de travailler à la réparation des harnais des chevaux de Monsieur Boissier, propriétaire du mas de Pascalet, il s'en allait doucement vers Calvisson en sifflant, pour se garder de la crainte, l'air de la farandole de Barbentane.

En arrivant au Mas de la Roquette de Monsieur Maroger, il trouve le bayle du mas du Lorieux, dressé comme un saule sur un tas de pierres et regardant au loin.

-     Que cherches-tu à voir, questionne Verdier ?

-     Il   y a une mauvaise vache échappée de la course de St Etienne qui garde le chemin à la croisée du sentier qui conduit du bois de Saint-Martin à la source de la Font du Vert.

-     Sans doute, tu plaisantes, ce n'est pas vrai ?

-     C'est si vrai, que je te conseille d'aller faire le tour par les bords du Rhony si tu as l'intention d'éviter la bête.

Verdier, qui n'en menait pas large, aurait suivi le conseil deux fois plutôt qu'une, il s'engage dans le chemin rural qui, du mas de Lorieux conduit au Rhony et lorsqu'il eut franchi le fossé rempli d'eau de la Font du Vert, il s'engagea dans la terre ensemencée de Cabanis et comme il s'empêtrait dans les mottes mal écrasées, il chercha à rejoindre le grand chemin de Vergèze à Calvisson.

Il croyait avoir laissé la vache là-bas derrière lui, mais voici qu'en descendant du talus sur le chemin, il se trouve presque nez à nez avec la bête couchée dans la luzerne de M. Teissier.

Sautant comme un chevreau, Verdier descend à nouveau dans le fossé et finit par se jucher sur un vieux saule troué au bord de l'eau.

La vache, distraite de son repos, se lève doucement, elle pousse des mugissements à donner la petite vérole à Verdier qui tremble pareillement à un jonc, puis elle se met à trotter vers le pays bas.

Verdier la suit des yeux un bon moment et lorsque la vache est disparue, il descend craintivement de son saule et à grande enjambée se dirige vers le pays haut.

Ayant grande hâte d'être rendu à sa maison et tout en accélérant sa marche vers Calvisson, il se disait qu'il venait cette fois-ci d'échapper à un grand danger.

Mais il n'était pas au bout de ses tracas.

Le soir tombait, lorsqu'à un tournant de la route vers le mas de Jalot, soudain voilà à nouveau la vache qu'il croyait rendue aux prairies du Cailar. Se trouvant à nouveau en face de la bête, ce fut un miracle qu'il ne meure de saisissement.

Celle-là est forte, se dit Verduret, une fois qu'il fut à nouveau juché sur le talus de la route, quelqu'un a du poursuivre la bête et la détourner de son chemin, pour qu'elle soit ainsi revenue sur ses pas

La vache, à nouveau évite Verdier et sans même faire attention à la présence du peureux se dirige à nouveau vers le littoral où se trouvent les prairies des manades.

Verdier était presque paralysé, il avait peur de s'évanouir, il suivait prudemment le talus, avec une telle peur qu'entre ses fesses serrées il aurait retenu une mouche par la patte chaque arbre lui semblait être un taureau, le vol d'un hibou l'arrêtait net, il n'osait pas crier comme il en sentait le besoin, il voyait la vache à tout instant, aussi lorsqu'il arriva aux quatre chemins près du bourg, s'élança-t-il en courant comme un fou jusqu'à Calvisson.

En arrivant au griffon de l'Herboux, dans la nuit noire, il se heurta à l'âne de Eugène de Matte qui allait à l'abreuvoir.

Ah mon ami, cette fois, il se voit irrémédiablement perdu en croyant s'être encore heurté à l'encorné, il se mit à crier comme un possédé ; il s'étale ensuite de toute sa longueur dans le caniveau d'écoulement des eaux et il ne bouge pas plus que s'il était trépassé.

Il   n'avait pas besoin de feindre, car il s'en fallait de peu qu'il fut réellement mourant, tant était grand son effroi.

-    Qu'est-ce que cet ivrogne, dit Eugêne de Matte qui venait chercher son âne abreuvé ?

-    C'est moi, Verduret, répondit notre homme couché dans le ruisseau.

-    Et que fais-tu là, bougre de nigaud ?

-    Elle est partie la vache ?

-    Quelle vache ?

La vache échappée de la course de St Etienne d'Escattes !

Ce fut un travail de longue haleine pour décider Verdier à se mettre debout, encore fallut-il que Eugène de Matte l'accompagne à sa maison où sa femme Fanny dut le tenir au chaud pendant tout un mois.

Elle fut même obligée à demander au docteur Farel de venir voir son mari qui fut mis à la diète et au lait d'ânesse.

Gela n'aura pas de suite grave, dit un jour Fanny au docteur Farel ?

-    Quand la frayeur se mêle avec la peur, cela n'est rien de bon, dit en riant le docteur !

-    Seigneur, qu'allons-nous devenir, que conseillez-vous ?

-    Je conseille, dit le docteur Farel, je conseille que Verduret se fasse razeteur !

Tout de même, il en revint de cette alerte, notre pauvre Verdier, mais il s'en souvint jusqu'au dernier souffle. Mais personne ne parvint à lui faire admettre qu'il avait vu deux taureaux et un âne dans cette fameuse après-midi.

Il   affirme toute sa vie que ce n'était pas lui qui avait poursuivi le taureau, mais le même taureau qui s'était acharné sur lui jusqu'au griffon de l'Herboux.

 

4 - Monsieur Triaire

Vous n'avez pas connu Monsieur Triaire, le Chef de Musique ?

Si vous avez eu la chance de naître ou d'être élevé en Vannage après la guerre de 1870, vous sauriez certainement que c'était le chef de la fanfare de Calvisson, cette société musicale qui enlevait médailles de bronze, d'or et d'argent à tous les concours de musique.

C'était un grand diable d'homme qui se heurtait à tous les quinquets pas assez haut pendus tellement sa tête était loin de ses pieds.

Quant à ses pieds ils étaient longs, larges et épais. Ils s'enfermaient dans de gros souliers ferrés avec de gros clous aplatis, fermés par des cordons de cuir, et tous les jours graissés à l'aide d'une vieille couenne toute rance.

Des pantalons de bure auxquels il manquait toujours quelques boutons.  Une redingote,  ample couleur lie  de vin lui descendait jusqu'aux mollets, son cou calfeutré dans trois ou quatre tours d'une épaisse cravate qui avait été noire, un chapeau large comme un cabas de moulin à huile. Tel était Monsieur Triaire.

La musique était toute sa vie, il avait dressé des générations de musiciens tel que le jeune fils du balayeur des rues qui était devenu piston solo à la Musique des Touristes de Nîmes.

Il était fier et dressé comme une quille lorsque au milieu du cercle de ses musiciens, un morceau de baguette à la main il disait: attention, une... deux... A son commandement, vieux et jeunes, soufflaient dans les pistons et les basses léchaient les clarinettes et les fifres et tous ensemble jouaient au mieux le même morceau.

Gomme musicien, il était fort estimé, ce qui n'empêchait pas qu'il se fut acquis une réputation de mauvais coucheur.

Pourtant ce n'était pas un mauvais bougre, mais en dehors de ses préoccupations musicales, il était un peu original.

Tous les soirs de bonne heure à l'auberge pour lire les nouvelles, il était sans gêne; ayant de mauvais yeux il se juchait sur deux chaises sous la grosse suspension, il ouvrait à l'aise la gazette sous la lampe à pétrole et sans entendre grommeler l'aubergiste ni les ronchonnades des joueurs de sisette, il accaparait pour lui seul, la clarté de la lampe et en privait toute la chambrée. Lorsque sa lecture était terminée, il s'asseyait, commandait deux sous de café bien chaud, le faisait refroidir avant de l'avaler, sans le sucre, afin de pouvoir faire de l'eau sucrée qui durait toute la soirée et, en fumant sa pipe, il attendait que Carla ferme bouti­que.

A rebrousse-poil et contrariant, il ne fallait pas le contrarier s'il racontait quelque histoire à la Cantonade, et si on lui tenait tête Il prenait des colères à en crever. Un jour sur deux il mangeait à sa maison et les autres jours il faisait ribote à la table d'hôte chez Carla qui logeait à pied et à cheval.

Les mauvaises langues prétendaient qu'en trois jours par semaine à l'Hôtel il mangeait plus que pendant un mois chez lui.

Il aimait les chats, mais ne pouvait sentir les chiens.

A la tablée de l'auberge. tous les jeudis, venait s'installer un marchand de bonneterie de Nîmes, qui chaque semaine faisait la criée au marché.

Il était un peu radoteur, il fatiguait tout le monde en racontant toujours la même histoire du Maréchal de Castellane qui s'était promené à cheval à Lyon, dans le marché à la vaisselle et en avait fait un grand dégât...

Chaque fois qu'il recommençait cette histoire Monsieur Triaire se levait de table en haussant les épaules et se retirait majestueusement devant la porte de l'auberge.

Mais ce qui l'enrageait et le poussait à regarder de travers le marchand de bonneterie c'était un chien loubet qui s'appelait Belugue qui suivait partout le bonnetier.

Belugue qui avait bon nez évitait toujours Monsieur Triaire et ses gros souliers. Mais ce qui doit arriver arrive, et voilà qu'un jour de l'année qu'il gela le 24 de juin, ils se trouvaient nombreux attablés autour des marmites de boeuf à l'étouffé de CarIa.

Au bout de la table Monsieur Triaire parlait amicalement avec un voyageur qui avait l'air de s'y connaître en harmonie; à l'autre bout, le bonnetier jacassait comme une pie qui cherche son nid, il farcissait la tête de Monsieur Chiarini qui était un bon dentiste et marchand d'un excellent vermifuge qui faisait des merveilles. Il lui racontait Monsieur Castellane.

Sous la table Belugue remuait Sa queue et rongeait les os.

Quelle mauvaise idée eut Belugue de s'avancer du côté de Monsieur Triaire !

Sournois, celui-ci le voyant venir, ne manqua pas son coup; son large soulier s'appuya sans retenu sur la queue de Belugue qui gémit douloureusement, puis aboya furieusement comme un chien qui mord.

Le maître de musique tomba à la renverse sur sa chaise et se mit à crier comme un chiffonnier, gueux de chien, garce de bête il m'a emporté un morceau de mollet !!

Pauvre Belugue les coups tombèrent sur son échine comme les oeufs pour Pâques, son maître lui-même l'accompagna à coups de bâton jusqu'à l'écurie où il se réfugia.

Tout ému, et bouleversé le bonnetier vint s'excuser auprès de Monsieur Triaire qui tenait toujours sa jambe à deux mains.

Voulez-vous que je vois si vous êtes meurtri ? dit-il.

Il se met à genoux retrousse le pantalon, tombe la chaussette, cherche la morsure et n'en voit aucune

Voyons dit-il ou avez été mordu ?

Je ne vois ni trace des crocs, ni meurtrissure !

Alors  tout  cil  continuant  de  gémir  Monsieur Triaire d'une voix mourante répondit : Vous ne voyez rien sur cette jambe, alors c'est que la morsure doit être à l'autre !!

Si notre bonnetier n'eut pas une congestion, c'est qu'il était solide.

La moutarde cependant monta à son nez  Si vous n'aviez pas les cheveux blancs, dit-il, je vous arrangerai comme vous le méritez, et même si le greffier de la Mairie et le balayeur qui étaient accourus au bruit de la dispute ne s'étaient interposés cela aurait certainement mal fini pour Monsieur Triaire.

Le Cabaretier essaya bien d'offrir son muscat de choix personne ne voulut rien entendre.

Et de ce jour les deux hommes fraternisèrent encore moins.

Lorsque le bonnetier venait à Calvisson, il attachait son chien.

Quant à Monsieur Triaire il ne prenait place à table que lorsque le bonnetier la quittait.

 

5 - Le ragoût d'herbe

Louiset la mésange était un brave homme qui, avec son épouse Mélanie, formait un couple charmant. Bien qu'ayant tous les deux dépassé 70 ans, ils vivaient comme deux oiseaux de buisson au grand air.

Mélanie était excellente cuisinière et Louiset très gourmand, ce qui ne pouvait que les mieux accorder.

Lorsque Mélanie préparait un plat d'escargots de vigne, avec sa sauce savante où entrait du jambon, des noix, des échaudés, du beurre d'anchois, ceux qui les savouraient se léchaient les doigts toute la journée.

Pour apprêter les court-bouillon d'anguilles, elle n'avait pas sa pareille, sa carbonade vaunageole, sa morue brandade, sa poule en sauce, son lapin au vin et son boeuf à la gardianne, avaient une grande renommée dans toutes les bonnes maisons et dans tous les quartiers depuis celui de Palanquine à celui de l'Herboux.

Lorsque Monsieur Jullian du Château conviait à sa table des personnages, il priait Mélanie d'aller préparer le festin.

Si on la complimentait, elle répondait en riant, ce n'est qu'un biais à prendre, c'est de ma grand'mère Fanny que j'ai hérité.

Depuis qu'ils avaient signé chez Monsieur Vedel, le notaire, le partage de leurs oliveraies ainsi que de quelques coins de terre, entre leur fils et leur fille, nos deux bons vieux allaient souvent à leur petit mas juché sur le flanc de la Colline entre deux pins et d'ou l'on apercevait, lorsque le temps n'était pas couvert, les étangs et aussi la Méditerranée.

Toutes les promenades de Louviset le conduisaient au clos où il trouvait toujours Mélanie, dévidant son écheveau ou raccommodant les chaussettes de la maisonnée.

Louiset, quittait la veste et il lambinait autour de la citerne, ou bien greffait un jeune plan d'abricotier, ou encore sciait quelques bouts de bois pour l'hiver, parfois il semait des laitues et plus souvent allait goûter aux bons fricots que sa femme apprê­tait.

Un jour c'était une gibelotte d'agneau avec de l'ail et du persil, une autre fois c'était des hauts de côte de porc arrosé d'huile sur le gril, ou encore des tomates avec de la saucisse, ou une fressure d'agneau, et lorsqu'il y avait du boeuf en daube Louiset, faisait une moue amoureuse et embrassait Mélanie comme au temps de ses vingt ans.

Il n'aimait pas beaucoup le jardinage et à part les oignons qu'il mettait en garniture dans son anchoie, il n'apercevait jamais les légumes servis sur la table; il y avait tontes sortes de difficultés pour lui faire manger des pois chiches ou des épinards, il préférait les voir jeter aux ordures que de les absorber.

Ce qui n'empêcha point Mélanie de se mettre en tête de régaler son mari avec une pâtée d'herbes bien assaisonnées le jour du Vendredi Saint.

C'est pour cela que par une belle matinée d'avril, trois jours avant Pâques, Louiset et Mélanie se dirigeait vers le clos. Elle devant, panier couvert au bras, lui derrière avec un bout de ceps à la main pareil à un jeune homme allant au village voisin pour assister à une course de taureaux.

Le soleil embrasait le haut du coteau, les brous­sailles remplies de lavande, de thym et de romarin parfumaient l'atmosphère, les oiseaux pépiaient. Dans les arbres, et là-bas vers Aigues-Mortes un seul nuage dans le ciel bleu, allait en courant se noyer dans la mer ; Louiset chantonnait: j'ai deux grands boeufs dans mon étable et Mélanie toute guillerette pensait qu'elle aurait pu acheter des clovisses pour mettre dans ses herbes, mais elle avait oublié.

Le grain de raisin à l'eau de vie, avalé pour tuer le ver, notre homme se mit au travail dans les coteaux pour consolider le pan de mur écroulé. Mélanie, elle, installait ses provisions sur le potager en briques et s'en allait dans l'olivette arracher des herbes pour sa nichée de lapereaux.

Qui sait quel ragoût a préparé la femme se dit Louiset et tout gourmand il s'en va renifler les plats. Dans une casserole il aperçoit des pruneaux cuits et dans l'autre tout éberlué un mélange de doucettes, de pissenlits et d'épinards I

Ah ! Par exemple et alors la viande où est-elle ?

Il cherche en vain et n'en trouve pas. Son sang ne fit qu'un tour, nous ne sommes pas venus au mazet pour attraper la dysenterie, celle là dépasserait tout, nous allons voir cela de plus près.

Sans rien ajouter, il s'avance, verse dans son mouchoir de priseur le contenu de la casserole qu'il recouvre soigneusement du couvercle et il va s'installer sur une chaise longue à l'ombre du jujubier.

Mélanie se prépare à réchauffer son déjeuner, en regardant de côté son mari, elle souriait à la pensée qu'il ferait une fois au moins le Vendredi Saint en mangeant des herbes à midi et l'eau bouillie le soir.

En ravivant la braise elle soupèse la casserole qui lui paraît bien légère, mon Dieu quelle est légère dit-elle en la soulevant, et ayant levé le couvercle elle trouve la casserole vide et se met aussitôt à s'exclamer: Mon Dieu, quel malheur  qu'est devenue ma belle platée d'herbe ?

- Elle apostrophe son mari : gros sournois qu'as­tu fait de mon fricot ?

- Je vais te te dire vieille poule couveuse ! Réplique malicieusement Louiset, ta pâtée maigre, elle est là, et retroussant son pantalon, il montre son mollet entouré du mouchoir ! Tiens, j'ai fait un cataplasme qui sur la jambe produira plus d'effet et plus de bien que sur l'estomac.

Et pour dîner, ajouta-t-il, vas chercher deux côtelettes.

Mélanie en faisant la moue ne dit rien, mais tout en ne rien disant elle alla au village chercher les côtelettes.

Et l'année suivante, elle se garda bien de recommencer.

 

6 - Philippe et Napoléon

Napoléon comme Philippe étaient deux amis qui malgré leur prénom étaient de bons républicains.

C'étaient eux qui avaient planté l'arbre de la liberté sur la place du Rempart au-devant du Poids Public installé sous les platanes où l'on donnait des courses de taureaux pendant la fête de septembre ; ils conduisaient la retraite aux flambeaux la veille du 14 Juillet et ils étaient parmi ceux qui aidaient à vider le tonneau de vin offert par la Ville le jour de la Fête Nationale.

Ils étaient fermement attachés à leurs idées politiques et des plus enthousiastes adhérents du Cercle qui siégeait au Café de Bénézet, neveu de Deville, de ce Cercle que les gens aisés appelaient par dérision  la Chambrée de la Trique depuis que à la hampe du drapeau du Cercle des Droits de l'Homme on avait suspendu une branche de chêne qui devait servir d'après Napoléon à caresser les reins des enrichis.

Il n'est pas nécessaire d'ajouter que cette grosse branche symbole d'autorité ne fut jamais utilisée contre quiconque.

Mais Si Napoléon et Félipe s'exaltaient parfois dans les discussions ils ne se faisaient pas trop de bile  ils vivaient bien et s'ils ne manquaient aucune occasion de lever le coude, ils ne leur était jamais arrivé de perdre la raison.

Ils tenaient le litre, mais ils savaient tenir également le manche de la pioche, ils étaient de gros travailleurs, abattant beaucoup d'ouvrage, ils gagnaient de fortes journées tout en faisant consciencieusement leur travail ; il leur arrivait souvent de quitter le chantier. Le dimanche, commençait pour eux le samedi à midi et finissait parfois le mardi, mais une fois au travail en quatre journées de labeur à la tâche ils gagnaient une grosse semaine et s'ils n'étaient pas souvent à leur domicile, il ne manquait jamais rien au foyer. Le Maire de la commune était le président du Cercle, c'était un petit propriétaire de quelques hectares dans la plaine autant sur les coteaux, où le cep donnait un vin renommé ; il avait en plus trois ou quatre belles oliveraies sur les collines avec six ou sept petits coins destinés à l'ensemencement. Dans sa maison d'exploitation agricole, une jument et une mule à l'étable, un porc à la porcherie, une chèvre qui avait chaque fois deux chevreaux, et fournissait chaque jour 17 sous de lait ; dans la grande cuisine le jambon était suspendu à côté des saucissons qui se réfléchissaient dans les chaudrons récurés et luisant sous les rayons du soleil. Dans la soupente, sous les toits, une provision de gros oignons, de châtaignes, d'amandes, de jujubes, de raisins, de figues sèches et des pommes de terre de bonne qualité ; enfin derrière les cuves, un ancien moulin à farine, était toujours rempli de bonnes bouteilles voisinant avec des bonbonnes d'eau-de-vie.

Le Maire était un brave homme qui n'aurait voulu causer de tort à personne ; il savait ce qu'il voulait et, tout en semblant être de l'avis de chacun et de tous et sans en avoir l'air, il menait bien les affaires municipales et savait gouverner les Calvissonnais comme cela lui plaisait ; il faisait le droit à tous tout en gardant les faveurs pour ses amis  il laissait jacasser ceux qui parlaient d'abondance comme ceux qui parlaient sans rime ni raison ; il savait faire plaisir et pour rassembler ses partisans, il trouvait toujours le bon argument.

 Aussi quelle que fut la situation politique, il trouvait toujours  le  meilleur moyen d'obtenir le renouvellement de son mandat.

Napoléon et Philippe étaient pleins d'admiration pour lui et parmi ses plus fidèles défenseurs, ce qui faisait enrager un bon propriétaire qui avait amassé quelques écus dans le commerce du tartre. Depuis qu'il avait un petit pécule, il ambitionnait la fonction de maire et rêvait de s'asseoir dans le fauteuil municipal, sans pouvoir y parvenir.

Une matinée d'avril, alors que les mauvaises herbes apparaissaient dans les vignes, tout réjoui en pensant aux élections de mai, il alla visiter les travailleurs de son domaine qui étaient justement Philippe et Napoléon ; il leur offrit une bouteille de 5 litres de vin de Carignan de Hournèze, qui fut rapidement vidée ; l'un après l'autre se l'étant passée, ils burent à la régalade ce vin généreux comme Si cela avait été simplement l'eau légère de la Fontaine du Coucou !!

Patron, dit l'un d'eux, Si vous vouliez donner une suite et nous envoyer quelques bonbonnes de même provenance, cela nous déciderait peut-être à voter pour vous cette année-ci.

- Vous dites cela mais ie sais bien que vous ne voterez pas pour ma liste !!

- Vous n'en savez rien !

Je sais par dessus tout que lorsque vous aurez entendu le maire vous serez encore plus enflammés que la dernière fois.

- Cela est une chose que personne ne peut dire essayez, vous verrez bien !

Le lendemain, ce fut un barillet de clairettes, un autre jour une bouteille d'eau-de-vie pour faire descendre l'anchois que l'on mangeait tous les matins, une autre fois une pleine cruche de cartagène. Pendant tout le mois. ce fut le même remue-ménage de la part du patron, ce fut tout profit pour les deux gourmands qui se donnaient des coups de coude dans les côtes pour manifester leur satisfaction en riant comme des bossus.

Les élections s'approchaient.  Napoléon fut premier à reprendre la conversation

-     Alors c'est vrai patron que vous vous faites porter sur la liste du Cercle du Midi ?

-     C'est tellement vrai, que le suis même en tête de cette liste qui sera bien faite, et cette fois-ci, nous sommes surs de la faire élire.

-     Si elle ne passe pas, elle échouera, dit en riant Philippe.

-     Nous la ferons élire, nous emploierons tous les moyens, nous n'épargnerons rien.

-     Il est vrai que cette année-ci nous ne pouvons rien affirmer !

-     Vous avez raison, et c'est pour cela que vous devriez voter pour les nôtres. Je suis pourtant un brave homme. Qu'auriez-vous à perdre si j'étais le maire ?

-     Pour être un brave homme vous êtes un brave homme et c'est un devoir pour nous d'en convenir !

-     Alors, pourquoi vous refuseriez ?

-     Surtout que nous ne sommes pas d'accord au Cercle. Samedi on a passé la soirée à se disputer Si les choses s'embrouillent ainsi nous savons ce que nous aurons à faire !

-     Vous dites bien cela, mais rien n'empêchera que le jour du vote, le maire saura vous ramener et vous suivrez la consigne comme deux bons bougres ?

-     Et Si vous vous trompiez, fit Napoléon ?

-     Si nous avions la certitude que sur votre liste figureront de bons républicains, dit à son tour Philippe ?

-     Tout cela n'est qu'un conte bleu !

-     Et bien, reprirent nos deux artistes, Si vous aviez la bonne idée de nous assurer la boisson à notre gré d'ici au mois de Mai avec un bon festin, le jour des élections, cela mériterait réflexion.

-     Vous affirmez ce que vous venez de dire ?

-      Nous affirmons qu'il serait facile de s'entendre.

Le pacte fut conclu à condition qu'on n'aille pas le répéter à la cantonade du marché couvert, de la place ou du quartier du chemin Neuf.

Pendant tout le mois, ils soignèrent les souches du propriétaire en plein enchantement. Il croyait tenir l'écharpe, aussi abreuva-t-il les deux loustics qui en absorbèrent tant qu'ils purent. Ils ne quittaient plus cafés et buvettes, où le patron passait pour payer la note copieuse chaque samedi.

Le jour des élections, de bonne heure, ils allèrent réveiller le tenancier du café ; ils burent le petit verre matinal, déjeunèrent, redéjeunèrent, ne firent aucune économie, ils restèrent attablés toute la journée sans se lasser, ni s'ennuyer ; à 11 heures du matin, le patron étant venu leur demander s'ils pensaient à accomplir leur devoir ?

-     Les bons citoyens, dirent-ils, ne vont pas voter à la sortie de la messe, nous irons après midi !!

La journée était avancée, lorsque craintivement, il vint à nouveau leur dire  « il est près de cinq heures, on va clore le scrutin »,

-     Ne vous effrayez pas, nous sommes prêts ; accompagnez-nous, vous nous donnerez le bulletin car nous ne voudrions pas nous tromper.

En chantant mi-français, mi-provençal, la vieille chanson de la Clèche :

C'est l'embut qui nous commande

nous avons bu, nous avons bu,

Vive l'embut !

 

Ils se dirigèrent vers la Maison commune et les voici bientôt tous les trois devant le bureau de vote.

Salut citoyens, leur dit le maire en les voyant

-     Nous venons voter citoyen, répondit Philippe.

-     Nous venons bien voter et nous votons selon notre croyance, ajouta Napoléon !!

Et comme derrière eux, ainsi qu'il en était convenu, l'autre essayait de leur glisser les bulletins, voilà que Napoléon, se retournant, l'apostrophe avec véhémence :  " nous n'avons pas besoin de vos bulletins, nous ne sommes pas des enfants, nous savons ce que nous avons à faire, allez patron, vous n'étiez pas éloigné de la vérité, au mois d'avril, à la vigne et vous ne vous êtes pas trompé en nous disant que vous saviez que nous ne vote­ions pas pour votre liste !! "

Et Philippe d'ajouter : " La fois prochaine, nous voterons pour vous "

Avec des éclats de rire sonores, ils sortirent de leur poche la liste du Maire qu'ils s'empressèrent de glisser dans l'urne où s' amoncelaient les bulletins.

Le soir Philippe et Napoléon qu'on n'avait plus vus au Cercle depuis deux mois firent une rentrée sensationnelle et pour la première fois de leur vie la boisson les indisposa. Il est vrai qu'ils avaient bu plus que de coutume.

De huit jours ils ne purent dessouler. Lorsque ce fut pour reprendre le travail, ils firent comme si de rien n'était et s'offrirent au propriétaire pour arracher l'ivraie à la pelle !

Puisque de toute façon il me faut quelqu'un, venez travailler, vous serez payé mais avec deux "vauriens comme vous ",  de ma p... de vie, je ne parlerai plus politique dussé-je vivre cent ans.

 

7 - Antoine le Touffu

Sachez d'abord qu'Antoine le Touffu était le cordonnier qui ressemelait les vieilles chaussures, sous le mûrier du Clos de Monsieur Blanc.

Il était bon, travailleur, consciencieux et ne marquait pas deux pièces lorsqu'il n'en avait remis une seule ; aussi lorsqu'il avait à faire rentrer ses notes annuelles, il pouvait aller d'une maison à l'autre sans craindre les reproches.

Par les temps de chaleur étouffante, il avait souvent la pépie et sa femme Finette qui aimait évoluer autour de son mari, lui apportait de temps à autre du picpoul de chez Maître Massip le riche, qui leur louait la vieille maison où ils habitaient.

Mais comme Maître Massip baptisait son vin et que Finette y ajoutait toujours de l'eau, l'alcool ne risquait pas de monter à la tête d'Antoine, et ainsi Finette était tranquille.

Mais c'était le samedi qui n'était pas un jour de tout repos pour Finette. Chaque fois que le samedi arrivait, Antoine était toute la journée désoeuvré, il cherchait vainement l'alène, puis il jetait au loin le tire-pieds, il tournait, retournait, jusqu'au moment où, brusquement, il se dépêtrait de son tablier de cuir, et s'en allait en se traînant au cabaret de Carla d'où il ne sortait que lorsque le double coup de minuit avait depuis longtemps sonné à l'horloge de la Maison commune.

Au Cabaret il jouait à la sizette avec Eugène de Matte le maréchal-ferrant, Hippolyte le messager dit l'opiniâtre, Paulin le joueur de hautbois qui avait la profession de ferblantier, César le Cafard qui était taillandier dans la Grand'Rue et Louis la Calandre qui n'avait pas besoin de travailler parce que ses devanciers lui avaient laissé des terres au soleil. Une fois réuni tous les six, il y avait du travail pour les désatteler, il fatiguaient l'aubergiste qui leur reprochait de multiplier les menson­ges et d'être des "use lumière".

Ce samedi de février de l'année que la neige tomba abondamment, ils étaient enfermés pour jouer.

Antoine, César, et Paulin avaient de beaux jeux, ils en avaient marqué sept à la file, et absorbé sept saladiers de vin de Mourastel. Antoine taquinait Louis ; Louis qui n'était pas gaspilleur regrettait les liards perdus, il ne cessait de murmurer : ce Toine, est né avec la crépine, quelle crépine vraiment.

Antoine s'apprêtait à lui répondre lorsque tout à coup on voit arriver tout essoufflé Louiset le cantonnier, le mari de l'accoucheuse Roussette : Antoine, dit-il, Antoine, viens vite, Finete a les douleurs de l'enfantement, elle t'envoie chercher.

La sizette fut interrompue, Hippolyte alluma sa pipe, Louis replia le tapis et César arrangea les cartes dans la corbeille, tandis qu'Antoine, tout ému se dirigea vers la vieille maison.

Avec Louiset, il ne cessaient de dire: Pourvu que nous arrivions à temps ?

Ils furent vite arrivés à la maison ou Finette se trémoussait sur la paillasse du lit en criant.

C'est un mauvais travail, un mauvais moment, ma pauvre Finette, disait Antoine, en tournant et retournant  allant  sans  cesse,  de  la  chambre à la cuisine et de la cuisine à la chambre au milieu des voisines venues assister aux couches

Allons, lui dit Roussette, Antoine, tu nous ennuies avec ta façon de monter et de descendre, offre la carthagène à Louiset et buvez tous les deux à la naissance de tout à l'heure.

Antoine se dépêcha de suivre le conseil de la sage femme, il va chercher derrière les tonneaux près du mulet, une dame jeanne de carthagène de vin de lune, et s'asseyant tous les deux au coin du feu, ils se mirent en demeure d'y faire honneur.

A la tienne, à toi et à moi, ils eurent bientôt fait de s'écarter de la raison, leurs joues s'empourprèrent, elles luisaient comme des chauffe-lits; Louiset qui avait le vin mauvais chercha bientôt noise à Antoine;  comme la querelle s'attisait,  Antoine, plus raisonnable, prit pour excuse son devoir d'aller porter secours à sa femme et il s'éloigna en titubant comme une sonnette, vers le lit conjugal où Finette se tordait dans les douleurs.

Mais le marmot n'arrivait pas.

Aïe, criait Finette, Aïe, ia, aïe, répondait Antoine.

Auras-tu bientôt fini de gémir, lui dit la sage-femme, tu ne vois donc pas que tu nous embêtes !

Antoine, gonfle comme un poumon soufflé, rotait et à nouveau poussait les mêmes soupirs ou les mêmes cris que Finette.

Il fit si bien que lorsque Finette eut fait l'enfant, Antoine lui eut fait... autre chose dans sa culotte.

 

A Pléno Dourco ( A pleine cruche ) par Hubert ROUGER

      

 

 
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